Le groupe de réflexion sur le futur des protéines du Think Tank AgriDées m'avait convié hier (8 mars 2018) à présenter ma perception des évolutions (historiques et futures) des attentes des consommateurs sur la viande et les autres sources de protéines.
L'offre alimentaire est en train d'évoluer rapidement avec l'apparition en France et à l'étranger de nouveaux produits riches en protéines végétales. Ces produits sont, pour un nombre grandissant de consommateurs, des substituts à la consommation de viande.
Ma tentative de décryptage des évolutions repose sur une approche centrée sur le consommateur. Ce mot est aujourd'hui un mot valise qui confond les différentes identités qui nous habitent : le mangeur, le shopper, le cuisinier ... et le citoyen. Ces différentes identités répondent de manière différente, selon les contextes, aux sollicitations. Interrogée sur un trottoir, une personne mettra en activité la personnalité citoyenne, alors que dans le rayon d'un supermarché celle-ci sera camouflée par la personnalité Shopper et pourra ne pas prendre part aux délibérations de l'achat. Comme le rappelle Bernard Lahire dans son ouvrage l'homme pluriel, ces personnalités sont parfois en contradiction, en pensée comme en action. Le pouvoir des contextes explique pourquoi une personne dit une chose et se comporte différemment. Si cette observation n'est pas nouvelle, on note cependant une distance plus grande entre les discours et les actes, ce qui rend le décryptage des consommateurs à l'aide de techniques standards de plus en plus délicat.
Parmi les autres composantes significatives des évolutions, il est important de rappeler que les bénéfices de la consommation sont coproduits lors de l'acte de consommation. S'agissant d'un produit alimentaire, lorsque celui-ci est mangé et digéré, physiologiquement, socialement, ou psychologiquement. Le mangeur est donc une des deux composantes de la production de bénéfices avec le produit. Le mangeur expert (le "bon" mangeur) est celui qui, comme un bon cuisinier est en mesure de faire des miracles avec quelques ingrédients, est capable d'extraire le plus grand nombre de bénéfices d'un produit. Manger cela s'apprend. Or on observe que le mangeur moderne est de moins en moins expert. Autrement dit, s'il est encore capable de noter une différence gustative entre deux produits différents et il est de moins en moins capable d'attribuer une valeur à cette différence faute d'en tirer les bénéfices. C'est différent, mais cela se vaut ! Dans le cas du vin, un novice entretiendra avec deux vins aux qualités différentes pour un amateur une relation bien moins forte, souvent limitée à un plaisir hédonique simple et rapide, alors qu'un amateur y lira l'histoire d'un terroir, s'acharnera à en découvrir la complexité... pour finalement en tirer des bénéfices qui ne sont pas encore accessibles au novice. Cela explique également pourquoi les consommateurs, de moins en moins experts, sont de moins en moins fidèles : ils sont de plus en plus de difficultés à juger la valeur de deux produits différents. Tout se vaut ! Alors, pourquoi acheter le produit le plus cher ?
Olivier Fourcadet, Pr. de Stratégie et Filières Agroalimentaires, ESSEC dpt de Management.